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Gilles Kraemer

 

Il est vraiment d’un autre temps écrivait de lui Vincent Van Gogh à son frère Théo, ses œuvres sont conçues avec tellement d’habilité et de finesse.

Albert Anker, La vente aux enchères, 1891 (détail). Huile. 89,5 x 140,5 cm.. Collection Christoph Blocher © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

La capture de l’instant, dans la représentation d’enfants comme des personnalités individuelles, c’est sous cette pratique que l’œuvre d’Albert Anker transparaît dans cette exposition que la Fondation Pierre Gianadda consacre à ce peintre national suisse. Dernière exposition supervisée par Léonard Gianadda, le fondateur-président de cette institution helvète, qui régla jusqu’au dernier instant, cette manifestation, signant le contrat de prêt quelques jours avant son décès le 3 décembre 2023.

Matthias Frehner © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

2003, rétrospective Albert Anker (1831, Anet, canton de Berne – 1910) à la Fondation Gianadda à Martigny, commissariat de Thérèse Bhattacharya-Stettler. Vingt ans plus tard, cette institution propose Anker et l’enfance, thématique au cœur de son œuvre peint soit environs 500 sur 796 de ses huiles. Comme le souligne Matthias Frehner, co-commissaire avec Regula Berger, rares sont les peintres qui ont abordé le thème de l’enfance avec autant de constance et de profondeur. 135 numéros sont présentés – presque tous de la collection Christoph Blocher -, 94 toiles et 41 aquarelles, pratique sur papier qu’il abordera après qu’une attaque d’apoplexie en 1901 eut temporairement paralysé sa main droite. Les catéchumènes du Müntschemier, des jeunes filles s’avançant vers nous, est l’une de ses dernières huiles commencées cette année là ; ce tableau restera inachevé.

Albert Anker, Les catéchumènes de Müntschemier, 1901. Huile. 86 x 131 cm.. Gemeinde Ins  //  Enfants se baignant à l'ancien Crêt, 1888. Huile. 43 x 90 cm.. Collection Christoph Blocher © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

Après des études de théologie de 1851 à 1854, sa vocation change. Anker décide d’être peintre malgré le désaccord de son père Samuel. Grâce à l’intersession de sa tante Charlotte, il accepte qu’il embrasse cette carrière.

Albert Anker, Famille de réfugiés protestants, 1886. Huile. 81 x 65 cm.. Collection Christoph Blocher  //  La sortie d’église, 1863. Huile. 100 x 172 cm.. Musée d’art et d’archéologie du Pays de Laon © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

Albert Anker, Les Polonais en exil, 1868. Huile. 62 x 50 cm.. Stiftung für Kunst, Winterhur  //  Le saute-mouton, 1866. Huile. 63 x 81 cm.. Museum zu Allerheiligen Schaffhausen © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

Inscrit, à l’automne 1854, à Paris dans l’atelier de son compatriote vaudois Charles Gleyre (1806-1874) puis à l’École impériale et spéciale des beaux-arts jusqu’en 1860, il enseigne le dessin pour subvenir à ses besoins. Il aborde de thème de la peinture d’histoire, celui d’une Grèce idéalisée avec Les joueurs d’osselets et Le saute-mouton lui apportant le succès mais ses scènes auraient pu se placer au XIXe, seules les tuniques conférant un aspect antique à ses peintures. L’histoire déborde sur le Moyen-Age avec un Pèlerinage très réaliste, une Sortie d’église – Salon de 1863, acquis pour le musée de Laon -, des scènes de Huguenots, aborde l’actualité avec la guerre franco-prussienne et Soldats de l’armée de Bourbaki soignés par des paysans suisses.

Albert Anker, Les petites brodeuses, 1875. Huile. 81,2 x 68,4 cm.. Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne  //  Gamin faisant des bulles, 1873. Huile. 45 x 32 cm.. Kunstmuseum Bern © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

Albert Anker, Dans les bois, 1865. Huile. 84 x 145 cm.. Signé, daté en bas à gauche : "Anker/1865". Palais des Beaux-Arts, Lille © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

Peintre avant tout suisse mais séjournant à Paris chaque hiver, pendant trente-cinq ans, jusqu’en 1899 - son attention ne s’est nullement tournée vers l’impressionnisme, ni les autres mouvements picturaux du basculement d’un siècle vers un autre, le pointillisme, le nabisme. Encore moins le cubisme. Son regard est dans une observation attentive de Jean-Siméon Chardin (1699-1779) pour Fillette faisant une tour de dominos (ca 1900), Les petites brodeuses (1875) ou Gamin faisant des bulles de savon (1873), cette dernière toile évoquant Édouard Manet et Les Bulles de savon (1867). Vers les Hollandais et Le premier sourire d’un enfant (1885). Vers Jean-François Millet avec Les premiers pas (1888) ou Courbet avec Dans les bois (1865), une jeune fille, pieds nus, endormie dans les bois, un énorme fagot à côté d’elle ou L’enterrement d’un enfant (1863) en songeant à Un enterrement à Ornans (1849-1850).   

Une peinture du sentiment d’une enfance heureuse ? Pas si heureuse que cela comme la majorité des toiles présentées pourrait le laisser penser.

Des enfants en souffrance. Les Polonais en exil renvoie aux persécutions polonaises, La distribution de soupe I aux enfants nécessiteux et à la soupe populaire – Salon de 1878 -, La vente aux enchères à la détresse d’une famille cherchant à cacher sa honte et sa détresse. Pestalozzi et les orphelins unterwaldois à Morat en 1798 (1876) souligne qu’il voulait peindre pour une fois quelque chose de cette époque si misérable et malheureuse. Très grande toile présentée dans l’agora de la Fondation face à la printanière École en promenade (1872), une joyeuse frise d’enfants de toutes classes sociales – pieds nus et souliers se côtoient - avec leur maîtresse. Un idéal, un certain idéal pour cet ancien théologien.

Albert Anker, Ruedi Anker sur son lit de mort, 1869. Huile. 34 x 64 cm.. Collection Christoph Blocher © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

Une mort bien présente. La mort infantile il l’a vécue. Celle de son frère et sa sœur morts prématurément. Deux des six enfants du couple Anna et Albert Anker décèdent, Rudolf à deux ans en 1869, Emil à un an en 1871 ; Ruedi [Rudolf] Anker sur son lit de mort (1869) évoque ces instants d’afflictions et de douleurs de la famille mais sans pathos. La petite amie (1862) et L’enterrement d’un enfant (1863) se lisent tels une histoire, une petite fille pleurée par ses camarades de classe puis enterrée sans manifestation visible de la douleur. L’inéluctabilité de la mort est pour lui une évidence qu’il accepte souligne Matthias Frehner.

Albert Anker, Portrait de Fritz Lüthy, 1900. Huile. 55,5 x 48 cm.. Winterthur  // Écolier, 1877. Huile. 60 x 39,4 cm.. Winterthur © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

Albert Anker, Jeune fille avec panier dans les bois, 1872. Huile. 81 x 61 cm.. Collection Christoph Blocher © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

Albert Anker, Les vendanges, 1865. Huile. 108 x 182 cm.. Collection Christoph Blocher  //   L'école en promenade, 1872. Huile. 90 x 150 cm.. Collection Christoph Blocher © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

Une enfance d’idéaux. Avec un enfant bien sage, un peu comtesse de Ségur, lorsqu’il s’agit du Portrait de Fritz Lüthy, Fritz se contentant de poser puisque ses parents en ont décidé ainsi, marquant à travers le portrait de leur fils leur statut dans la société. Les autres enfants posent, des scènes de genre, l’un écrit, l’autre part à l’école ou en revient, Le petit chaperon rouge illustre le conte éponyme. Le quotidien de l’enfant studieux. Marie Anker écrivant est plus réelle, saisie dans l’instant, la vie s’y ressent comme également pour Le petit dessinateur, un garçon croquant la statue d’un chien.

Albert Anker, La gymnastique, 1879 (détail). Huile. 96 x 147,5 cm.. Collection Christoph Blocher © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

Ses grandes peintures de groupe sont plus vivantes. Matthias Frehner voit dans La gymnastique (1879) l’œuvre la plus audacieuse du peintre, la représentation de cette discipline scolaire introduite l’année précédente dans la Confédération, obligatoire pour les garçons alors que les filles ne sont qu’observatrices.

Peu collectionné par les institutions françaises, seuls la moyenâgeuse Sortie d’église (1863) et la fillette endormie Dans les bois, médaille d’or au Salon de 1866, acquises sous l’Empire, ont quitté les musées de Laon et de Lille. Pourtant le marchand d’art parisien Adolphe Goupil le représentait.

Fondation Pierre Gianadda © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Martigny, Suisse, 2024.

 

Anker et l’enfance

1er février – 30 juin 2024

Fondation Pierre Gianadda – Martigny – Suisse

Commissariat de Matthias Frehner et Regula Berger

Catalogue dédié à Léonard Gianadda. En français et en allemand. 268 pages.

 

 

 

 

 

 

Tag(s) : #Expositions à l'étranger
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