Physique nucléaire

Tchernobyl : un regain d’activité surprenant

Les systèmes de surveillance de la centrale de Tchernobyl montrent une augmentation récente du flux de neutrons, signe possible d’une activité de fission accrue dans les débris. Igor Le Bars, de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), fait le point sur la situation.

Propos recueillis par Sean Bailly
POUR LA SCIENCE N° 525
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Centrale nucléaire Tchernobyl sarcophage

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Tchernobyl est revenu à l’actualité. Pourquoi ?

Les détecteurs installés autour d’un local de la centrale contenant plusieurs dizaines de tonnes de corium, un mélange de combustible nucléaire et de divers matériaux du cœur fondu, ont enregistré une augmentation d’environ 50 % du flux de neutrons en quatre ans. Cela peut indiquer une augmentation des réactions de fission en chaîne se produisant dans le corium.

Avait-on déjà observé des variations de ce flux ?

En 1990, quatre ans après l’accident de Tchernobyl, le flux s’était accru d’un facteur 60 en quelques jours. Durant les semaines précédentes, il avait beaucoup plu et le sarcophage construit pour isoler les restes de la centrale n’était pas étanche. L’eau s’était donc infiltrée jusque dans le corium. Or l’eau favorise les réactions de fission en chaîne. En effet, lorsqu’un noyau fissionne, il émet des neutrons dotés d’une grande vitesse. Ceux-ci réagissent peu avec d’autres noyaux. Mais en présence d’un modérateur (comme l’eau), les neutrons interagissent avec ce matériau, transfèrent une partie de leur énergie cinétique et ralentissent. Ils atteignent alors une vitesse optimale pour créer des réactions en chaîne. C’est le principe utilisé dans les réacteurs, mais il peut survenir naturellement.

Pour empêcher un emballement des fissions, en 1990, les autorités avaient injecté du nitrate de gadolinium, un « poison neutronique » qui absorbe les neutrons et bloque les réactions en chaîne.

Quel était le risque ?

Le risque est l’accident de criticité. Si l’on atteint un régime où, en moyenne, la fission d’un noyau entraîne la fission d’au moins un autre noyau, la croissance de neutrons devient exponentielle. Cela ne conduit pas à une explosion, car plusieurs phénomènes dans le matériau agissent comme des contre-réactions. Mais on a alors une émission intense de rayonnements, qui peut être brève ou durer plus longtemps. Près de 60 accidents de ce type ont été répertoriés, dans l’industrie ou des laboratoires. Le dernier date de 1999, sur le site de Tokaimura au Japon, et a persisté vingt heures.

La situation actuelle est-elle du même type ?

Non, l’évolution est trop lente pour penser que ce local de Tchernobyl est le siège d’un accident de criticité. Reste à comprendre ce qui se passe. La nouvelle structure qui couvre le réacteur depuis 2016 est étanche. Il y a donc a priori un assèchement des locaux. On peut penser que, avant, il y avait tellement d’eau qu’elle absorbait une partie des neutrons. Avec l’assèchement du matériau, on tendrait progressivement vers un taux d’humidité optimal pour modérer les neutrons et ainsi favoriser les réactions en chaîne.

Une autre possibilité est encore liée à l’eau. Les détecteurs sont assez distants du local et les neutrons traversent plusieurs murs pour les atteindre. Or, si l’eau des murs s’évapore, les neutrons seraient un peu moins ralentis, pénétreraient plus loin et seraient plus nombreux à produire un signal dans les détecteurs.

Quelles sont les conséquences pour la suite ?

Si cette situation n’est pas inquiétante dans l’immédiat, il faut la suivre. L’augmentation de l’activité radiologique est un problème pour les projets de démantèlement de la centrale et du premier sarcophage. Par ailleurs, les conditions pourraient évoluer et s’approcher de celles d’un accident de criticité. La priorité est donc de comprendre ce qui se passe. Or nous manquons d’informations pour expliquer précisément la hausse du flux de neutrons. La zone est très radioactive et même envoyer des robots d’exploration est difficile, les composants électroniques étant vulnérables aux neutrons.

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Igor Le Bars

Igor Le Bars est directeur de l’expertise de sûreté à l’IRSN.

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