Non, la Perse n'est pas devenue l'Iran pour faire plaisir à Hitler...

TRIBUNE. La Perse a-t-elle changé de nom pour complaire à l'Allemagne nazie ? La polémique fait rage. L'avocat Ardavan Amir-Aslani remet les pendules à l'heure.

Par Ardavan Amir-Aslani *

Vue générale d'Ispahan sur la place de l'Imam, classé Patrimoine mondial de l'Unesco.

Vue générale d'Ispahan sur la place de l'Imam, classé Patrimoine mondial de l'Unesco.

© MORANDI Tuul et Bruno / hemis.fr / hemis.fr / MORANDI Tuul et Bruno / hemis.fr

Temps de lecture : 5 min

En 1935, Reza Shah Pahlavi a notoirement choisi de demander aux pays étrangers pour l'usage international de rebaptiser le pays « Iran » au lieu de « Perse ». « Rebaptiser » est bien le terme, car le pays avait déjà porté le nom d'« Iran » au temps des Sassanides, lorsqu'il s'appelait Ērānšahr, « Royaume des Aryens » ou « Royaume des Iraniens » en moyen-persan. C'était surtout le nom que les Iraniens eux-mêmes employaient depuis toujours pour désigner leur propre pays. Le titre n'avait donc rien de nouveau lorsqu'il fut repris par le fondateur de la dynastie Pahlavi.

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Bas-relief représentant un officier rendant hommage  au roi Darius.

© www.bridgemanimages.com / bridgeman

Pourtant, dans son dernier ouvrage, L'Empire et les Cinq Rois, M. Bernard-Henri Lévy affirme que c'est à la faveur du rapprochement diplomatique entre la Perse de Reza Shah Pahlavi et l'Allemagne d'Adolf Hitler, et plus encore, en raison d'une convergence idéologique, que le Shah décida de rayer d'un trait tout le passé glorieux de la Perse de Darius et de Xerxès et de la débaptiser pour l'inscrire davantage dans son identité « aryenne ». Une identité aryenne qui aurait été conforme à l'idéologie nazie sur la question... L'objectif non dissimulé de M. Bernard-Henri Lévy est bien entendu de démontrer que non seulement les Iraniens auraient partagé les vues des nazis sur le concept de race supérieure et, pourquoi pas, sur les juifs, mais que de surcroît, le shah aurait changé le nom de la Perse sur ordre d'Hitler.

« Aryen » pour les Iraniens désigne leur peuple

Que le shah ait souhaité se rapprocher de l'Allemagne nazie sur un plan diplomatique est une réalité, mais il faut la replacer dans son contexte pour la comprendre. Il faut aussi faire un peu d'étymologie et analyser les origines du nom « Iran » pour mieux comprendre pourquoi Reza Pahlavi a souhaité le reprendre au détriment du nom « Perse ».

Le mot « aryen », on le sait, a subi un terrible détournement de sens dès le XIXe siècle, à la faveur notamment des thèses de Joseph Arthur Gobineau exposées dans son Essai sur l'inégalité des races humaines. Considéré comme le père de la pensée raciste, Gobineau fut pillé sans honte par les nazis pour l'élaboration de leur propre idéologie.

« Aryen » pour les Iraniens ne désigne aucune race prétendument supérieure... mais tout simplement leur peuple. Sous les Sassanides, Aryānam Xshathra désignait « le royaume des Aryens », Âiriyā (à la résonance proche du nom « Iran ») signifiant « noble » en avestique, la langue indo-iranienne ancêtre du persan. À quelques milliers de kilomètres de là, en Inde, le sanskrit employait à peu près le même mot : « Âryā ». Ces deux branches linguistiques, l'une indo-aryenne, l'autre indo-iranienne, se sont séparées d'après les linguistes il y a près de 4 000 ans. Les tribus aryennes parlant la première poursuivirent leur route vers l'Est, pénétrant en Inde par le Pendjab. Les secondes se sont installées sur le plateau iranien.

Et c'est aux Sassanides qu'on doit le concept de nation iranienne, avec les termes « Ērān », Aryens, et « Ērānšahr », royaume des Aryens, ou des Iraniens, mots qui se veulent avant tout des notions ethniques et politiques plus qu'administratives. Comme je l'ai expliqué dans mon dernier ouvrage (1), Ērānšahr désignait le territoire dirigé par les Perses et essentiellement de culture perse et sassanide. On trouvait aussi des Iraniens en dehors des frontières sassanides, tels que les Sogdiens d'Asie centrale ou les Alains du Caucase du Nord, sans compter les Parthes d'Arménie. Vivaient, évidemment, des non-Iraniens au sein d'Ērānšahr, notamment les peuples sémites de l'Irak actuel. Ils furent néanmoins considérés comme faisant partie de l'Iran. Le souverain sassanide était donc de facto Šhahānšhah Ērān mais aussi Šhahānšhah Anērān, roi des « Iraniens » et des « non-Iraniens ». L'objectif des premiers souverains sassanides qui avaient succédé aux Parthes était de redonner à la Perse une structure, une culture et une religion nationales.

L'Iran n'a jamais changé de nom pour les Iraniens, qui l'ont toujours appelé Ērān

Ērān, à la différence du nom « Perse », ne fut pas repris dans l'Antiquité par les peuples étrangers pour désigner l'Iran. Les Perses furent nommés ainsi au-delà de leurs frontières grâce aux Grecs et aux Romains, qui adoptèrent ce nom en référence à la Perside, la région du Fars dans le sud-ouest de l'Iran, d'où étaient issus les Achéménides et les Sassanides.

La mosquée du Sheikh Lotfollah, à Ispahan.

© Jon Arnold Images/ hemis.fr Jon Arnold Images/ hemis.fr / hemis.fr / Jon Arnold Images/ hemis.fr
En réalité, l'Iran n'a jamais changé de nom pour les Iraniens, qui l'ont toujours appelé Ērān. Ce changement n'existe que pour les Occidentaux, qui l'avaient appelé depuis l'Antiquité « Perse », avec tout ce que le terme pouvait avoir de connotation exotique et de références folkloriques que le shah Reza Pahlavi souhaitait justement reléguer à l'arrière-plan. Afficher aux yeux du monde entier le nom Ērān imposait sa dynastie, persanophone (à l'inverse des Qadjar turcophones), comme l'héritière des Achéménides et des Sassanides.

En outre, choisir le nom « Iran » faisait partie du « plan communication » du Shah pour afficher son pays comme une nation moderne et ouverte au monde. Souhaitant également sur ce point distinguer sa dynastie de celle des Qadjar, souverains corrompus et soumis aux puissances étrangères comme la Russie et la Grande-Bretagne, le shah regarda alors du côté des puissances « qui se relevaient » et chercha plusieurs appuis pour engager son pays dans une voie indépendante. Cela le porta à se rapprocher autant de l'Allemagne nazie que de la Turquie d'Atatürk. Du reste, le rapprochement avec Berlin commença bien avant l'avènement d'Hitler, dès la fin de la Première Guerre mondiale.

Il reste vrai que ce changement de nom s'effectua après un rapprochement diplomatique avec l'Allemagne nazie. Néanmoins, on aurait tort d'y voir un quelconque rapprochement idéologique, car il n'y a aucun lien entre l'aryanité des Iraniens et celle des nazis. Comme le souligne le chercheur Frédéric Sallée, si l'Iran se rapproche de l'Allemagne, c'est plus par opportunisme que par souci idéologique.

On aura beau chercher, on ne trouvera donc nulle part un quelconque diktat de l'Allemagne auquel l'Iran aurait cédé.

(*) Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste.

(1) Son dernier livre, De la Perse à l'Iran, 2 500 ans d'histoire, est paru aux éditions Archipel en mars 2018.

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Commentaires (16)

  • ametz

    Son article est entièrement confirmé par le fantastique ouvrage de Peter Frankopan, les Routes de la Soie, qui offre une relecture de l'Histoire du Monde d'Alexandre à nos jours vraiment passionnante et surprenante, en la globalisant, un peu au détriment notre prisme greco-latin, et qui devrait intéresser BHL et tous les amateurs d'Histoire

  • AllonsBon

    Bien d accord.
    En effet, on se demande.
    Et le coup du « contexte », alors là... On peut justifier tout et n importe quoi avec cela, y compris les agissements de Pétain. Seulement voilà, c est BHL qui défend une thèse, et un type crédible qui défend l autre. Hélas.

  • YEARLING

    À l’éclairage de cet article qui permet de nuancer les thèses de BHL et aux précisions de commentateurs avisés...