Le chanteur Marilyn Manson au festival B'estival de Bucarest, Roumanie, le 1er juillet 2007. — M. BARBU / REUTERS

INTERVIEW

«Le satanisme ne présente aucun danger pour la société»

Olivier Bobineau et Alexis Mombelet, co-auteurs d'un ouvrage sur le satanisme, ont répondu à 20minutes.fr...

Olivier Bobineau est docteur en sociologie, membre du groupe d’études Sociétés, religions, laïcités, maître de conférences à Sciences-Po et enseigne à l'Institut catholique de Paris. Alexis Mombelet est doctorant en sociologie, spécialiste de la musique metal. Tous deux ont participé à une enquête sociologique inédite en France sur le satanisme*, paru ce mercredi. 20minutes.fr les a rencontrés. 


D'où vous est venue l'idée d'une enquête en sciences humaines sur ce sujet?

Olivier Bobineau: Au cours de ma thèse sur l'Eglise catholique en France et en Allemagne, j'ai été étonné du regard porté sur le satanisme et son versant soi-disant musical, le metal.

Alexis Mombelet: D'où mon intervention dans cette recherche, les deux étant extrêmement liés dans l'imaginaire commun. 


Qu'avez-vous découvert?

AM: Qu'il faut distinguer les individus qui puisent dans l'imaginaire sataniste des satanistes et que ni les uns ni les autres ne sont dangereux pour la société en tant que tels.  

OB: Les premiers pratiquent le braconnage de l'imaginaire satanique pour nourrir leur construction identitaire, les seconds répondent à quatre critères bien précis.


Lesquels?

OB: Ils connaissent la doctrine satanique officielle, tirée entre autres de la Bible satanique écrite par le fondateur de l'Eglise de Satan, Anton Szandor LaVey, en 1969. Ils pratiquent un culte ou des rituels de manière individuelle ou en groupe, se reconnaissent satanistes et appartiennent à un groupe organisé, exclusivement virtuel en France (forums sur des sites Internet).

AM: En France, ils sont un peu plus d'une centaine, âgés de 20 à 35 ans, et non plusieurs milliers comme l'ont avancé certains médias.


Quelle est la doctrine du satanisme?

OB: On peut la définir en deux mots: «l'égocentrisme libertaire». Le satanisme prône le culte du moi, l'homme-Dieu, l'individualisme, qui s'oppose à l'union véhiculée dans la symbolique chrétienne. Le diable est division, le chiffre 2, qui casse la Sainte Trinité. Si ce mouvement religieux s'est structuré aux Etats-Unis, c'est en partie pour dénoncer le fondamentalisme chrétien qui y est très implanté, notamment à travers les évangélistes. 

AM: En soi, le satanisme ne présente aucun danger puisqu'il ne suscite pas de comportements grégaires. On ne peut pas faire groupe autour du culte de l'ego, on ne peut pas s'unir au nom du désunir. L'Eglise de Satan a d'ailleurs connu beaucoup de scissions. Le satanisme se développe en s'étiolant et s'étiole en se développant.


Mais y a-t-il eu des exactions ou des crimes commis au nom de cette doctrine en France?

AM: Nous nous sommes penchés sur le cas des personnes se revendiquant satanistes et qui sont passées à l'acte. Au moment des faits, les individus étaient soit sous l'influence d'une idéologie néo-nazie, soit présentaient une pathologie de type psychose ou schizophrénie, ou un parcours social précaire avec rupture familiale et scolaire. Ce sont ces trois facteurs, séparés ou réunis, qui les ont poussés à profaner un cimetière (comme à Toulon en 1996) ou à assassiner un prêtre (par exemple, l'assassinat de l'abbé Jean Uhl en 1996).


Et en ce qui concerne la musique metal, qui a souvent été pointée du doigt pour diffuser des messages subliminaux poussant au suicide...

OB: Je ne répondrai qu'une chose: le “jeune diabolique” deviendra le “symbolique populaire” de demain. L'histoire de la musique est truffée d'exemples de musiciens qui ont été considérés comme diaboliques pour être adoubés ensuite: Elvis Presley, les Rolling Stones («Sympathy for the Devil»), Iggy Pop, AC/DC (alternating current/direct current et non Ante Christ/Death to Christ comme on l'a prétendu à une époque), Ozzy Osbourne et plus récemment Marilyn Manson. Plus sérieusement, la violence symbolique représentée dans la musique metal a souvent une fonction cathartique pour les jeunes qui l'écoutent. Au final, c'est peut-être elle qui empêche le passage à l'acte.

AM: Certains “métalleux” nous ont confié que cette musique, qui fait parfois référence à un imaginaire satanique mortifère, les avait au contraire ramenés à la vie et aidés à accepter leur part d'ombre. Quant aux messages subliminaux, tous les groupes accusés en justice sur cette question ont été innocentés car on n'a jamais trouvé de preuve. Sur le rapport causal entre le fait d'écouter du metal et de se suicider, enfin, il n'y a aucune étude française sérieuse sur la question. Les enquêtes anglo-saxonnes, elles, mettent toujours en avant d'autres facteurs, comme l'environnement familial, scolaire, l'usage de drogues etc. Les satanistes que nous avons rencontrés, pour leur part, n'étaient pas des personnes déprimées. 


*«Le Satanisme, quel danger pour la société?», par Olivier Bobineau, David Bisson, Alexis Mombelet, Nicolas Walzer, ed. Pygmalion, 330 pp., 21,90 euros.

À la une