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Quand Pink Floyd inventait le concert en quadriphonie

Le groupe anglais publie ce 10 novembre 2014 The Endless River, un ultime album réalisé à partir de vieux enregistrements. Un paradoxe, pour groupe qui aura souvent été à l’avant-garde technologique.

Le guitariste des Pink Floyd David Gilmour, à droite de l'image, en 2006.

© MAGGIOLINI GIANMARCO/SIPA

REQUIEM. De Pink Floyd, il ne reste plus grand monde. L'auteur principal et guitariste originel, Syd Barrett, exclu du groupe en 1968 pour cause de folie et d'abus de LSD, est mort en 2006. Le bassiste Roger Waters est parti en 1985. Le pianiste Rick Wright est mort en 2008.

L'album The Endless River, qui sort ce 10 novembre 2014, est donc une œuvre du guitariste David Gilmour et du batteur Nick Mason, appuyés par des musiciens de studio, et construite à partir d'enregistrements datant de leur disque précédent, The Division Bell, il y a… vingt ans.

On a donc plus affaire au post scriptum d'une longue carrière qui, de plus, ne donnera pas lieu à une tournée. On est loin du groupe de quasi avant-garde rendu célèbre, dès ses débuts au milieu des années 1960, par ses spectacles autant musicaux que visuels et ses expérimentations techniques.

Lumière et musique synchronisées

Dans la première moitié des années 60, le groupe, dont ses membres sont encore étudiants, loge et répète chez un enseignant en art et architecture, Mike Leonard. Ce dernier expérimente un système d'éclairage synchronisé avec la musique, projetant des formes mouvantes qui vont devenir la marque de fabrique à la fois du groupe et de la scène psychédélique.

Il utilise un assemblage complexe incluant projecteur, lentilles, moteur rotatif, et feuilles de cellophanes colorées, comme le montre ce documentaire de l’époque tourné chez Mike Leonard (mais en noir et blanc !).

QUADRIPHONIE. Pink Floyd est à l’origine d’une autre innovation fondatrice : un appareil portant le nom bizarre d’Azimuth Co-ordinator. Il s’agit rien de moins que du premier système de quadriphonie utilisé en concert.

Le 12 mai 1967, Pink Floyd, qui n’a pas encore publié son premier album mais fait sensation depuis un certain temps dans Londres, est programmé au Queen Elizabeth Hall, une salle dédiée à la musique classique. Pour ce spectacle, intitulé Games for May, le groupe cherche à surprendre. Dans les studios d’Abbey Road, où ils enregistrent, ils découvrent un jour que quelqu’un a connecté deux paires d’enceintes stéréo, placée chacune à une extrémité de la salle.

Dès le spectacle terminé, l’appareil est volé et ne sera jamais retrouvé

Le résultat est un embryon de ce que l’on appelle aujourd’hui le son surround : l’auditeur ne perçoit plus la musique diffusé face à lui mais tout autour de lui.

Le groupe demande alors à un ingénieur de maintenance du studio, Bernard Speight, de concevoir un dispositif similaire mais pour des concerts. Speight construit alors un boîtier rectangulaire métallique muni de quatre rhéostats, agissant sur le volume de quatre enceintes indépendamment les unes des autres, et d’une manette orientable à 270°. Lorsque la manette reste à la verticale, le son reste centré, c’est-à-dire équivalent dans les quatre enceintes. Mais lorsque la manette est pointée dans une direction précise, elle fait sortir le son d’une enceinte en particulier.

Si l’on déplace la manette, le son lui-même se déplace d’une enceinte à l’autre, les baffles ayant été stratégiquement placées aux quatre coins de la salle. L’Azimuth Co-ordinateur est contrôlé en direct par le claviériste Rick Wright.

BRUITAGES. Ce n’est pas la musique du groupe dans son ensemble qui bénéficie de cette proto-quadriphonie, mais le son de l’orgue de Wright et, surtout, les bruitages abondamment utilisés par Pink Floyd (pistes à l’envers, chants d’oiseaux, bruits de pas, bips électroniques, etc.).

Ils sont stockés sur un magnétophone quatre-piste à bande magnétique relié à l’Azimuth Co-ordinator. Pour être exact, en fait de quadriphonie, il s’agit plutôt de quatre systèmes monophoniques côte à côte.

Dès le spectacle terminé, l’appareil est volé et ne sera jamais retrouvé. Mais Bernard Speight s’attelle à la réalisation d’une deuxième version du boîtier, utilisé à partir de 1969. Il compte cette fois deux manettes, l’une dédié à l’orgue, l’autre aux effets sonores préenregistrés.

BOYCOTT. Le système se perfectionne avec la mise en place de six enceintes au lieu de quatre, avant que la quadriphonie se standardise peu à peu, même si Pink Floyd restera longtemps un des rares groupes de rock à l’utiliser. En 1973, il boycottera la présentation à la presse de son album-phare The dark side of the moon au Planetarium de Londres parce que la salle n’est pas capable de le diffuser en quadriphonie…

L’Azimuth Co-ordinateor a été une telle innovation que sa version 1969 figure aujourd’hui dans les collections du Victoria and Albert Museum.