Pour comprendre l’objet de cet article, il faut remonter un petit peu dans le temps. Il y a 17 ans, exactement - oui déjà. Les réseaux sociaux commencent à peine à émerger, et à l’époque chacun est propriétaire d’un Skyblog personnel ou d’une page MySpace. Oui, on vous parle d’un temps que les moins de 15 ans ne peuvent clairement pas connaître. Un temps où il fallait aller sur l’ordinateur du salon (seuls les vrais chanceux en avaient un dans leur chambre). Sur ces blogs et bientôt dans la rue, une sous-culture commence à émerger. La culture émo apparaît dans les années 80 mais c’est véritablement dans les années 2000 qu’elle se popularise. D’ailleurs, elle n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était à la base. Des milliers d’adolescents, en France et partout dans le monde, s’adonnent à ce phénomène culturel, musical et surtout stylistique. Les émos sont très reconnaissables, à l’image de leurs idoles : des groupes de pop rock punk aux looks bien identifiables. On compte Fall Out Boy (avant le succès), My Chemical Romance, Blink-182, Paramore, Cinema Bizarre… Mais le plus iconique (et le plus mainstream sans doute), à ce jour, reste Tokio Hotel. Imaginez un peu : plus de 10 millions d’albums vendus à travers le monde, des millions de vues (à une époque où Youtube est encore un peu bancal), des stades remplis d’adolescents en furie… Certains médias les comparent même aux Beatles. Pourtant, outre le succès, ces jeunes allemands de l’ex-RDA n’ont rien en commun avec leurs aînés britanniques. Et surtout pas leur dressing. L’allure de Bill vous fait rire ? Elle pourrait pourtant revenir très prochainement à la mode.

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Tokio Hotel, légende stylistique d’une génération

Pour ceux qui auraient peut-être vécu dans une grotte entre 2005 et 2010, leurs années de succès, les Tokio Hotel forment un groupe de pop rock. Quatre garçons composent ce groupe dont Bill et Tom Kaulitz, jumeaux et véritables idoles de la jeunesse du nouveau millénaire. Se rajoutent aux jumeaux, Gustav Schäfer et Georg Listing à la batterie et à la guitare. Ensemble ils sortent un premier album en 2005 baptisé « Schrei » (les vrais fans auront instinctivement le refrain en tête à la lecture de ce nom) avec en lead single « Durch den Monsun ». Là, c’est le raz-de-marée. Le groupe de teen rock s’installe directement N°1 des ventes en Allemagne et ne tarde pas à s’exporter en Europe, dont en France, grâce à Internet. La demande des jeunes pour que soient diffusé le tube est massif et les radios s’intéressent alors aux Tokio Hotel. Rapidement, on comprend qu’un phénomène se profile. Le groupe parle directement à la jeunesse. Loin des boys-bands ultra lisses, tous pectoraux dehors, les jeunes originaires de Magdebourg évoluent dans un univers beaucoup plus sombre. Ils chantent la tristesse, l’amour perdu, la rébellion, la drogue, le harcèlement, le suicide… Sur des rythmes mélancoliques ou bien beaucoup plus survoltés, Tokio Hotel se démarque avec un rock raillé par certains puristes et salués par d’autres, notamment pour l’originalité de la langue allemande. Outre leurs tubes encore ancrés dans les esprits, ce qui rend identifiable Tokio Hotel, ce sont leurs looks. Et particulièrement celui de Bill et Tom Kaulitz. Ces derniers se créent des silhouettes bien à eux, se nourrissant de plusieurs univers. Si les autres membres du groupe adoptent une outfit beaucoup plus mature et basico-rock, les jumeaux surfent à fond sur la vague émo. Pour Bill, l’allure androgyne est empruntée aux punks des années 80, le maquillage est un brin gothique et les cheveux longs et hérissés font penser aux héros de mangas. Ce dernier devient alors la Jeanne d’Arc des émos. Le reste de son outfit se compose de slims (bien évidemment), de tee-shirt destroy, de mitaines, d’une ceinture à damier, de vernis à ongles noir et de piercings un peu partout sur le visage… La phobie de tout parent de l’époque, en somme. Tom, lui, compte tout autant de piercings mais mise sur un dressing plus street avec des baggys, des tee-shirts ultra longs, des dreadlocks cachées sous une casquette à la 50 Cent, et d’énormes baskets. Tokio Hotel invente un style et ils seront des milliers à suivre l’exemple.

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Le phénomène émo en France 

En 2005, si vous vouliez trouver les émos, il fallait sans doute vous diriger dans les cours de récré de collège ou de lycée. Sûrement, ils vous auraient regardé de haut en bas avec les écouteurs de leur lecteur CD vissés aux oreilles. Sous-culture à contre-courant des mouvements mainstream et de l’opinion dominante de la société, l’émo était un moyen pour ses adeptes d’affirmer sa différence mais également de se reconnaître entre eux. Ces derniers se regroupaient aussi souvent après les cours ou le mercredi après-midi sur des grandes places ou bien sous les ponts notamment à Chatelet ou à l’Opéra Bastille. Dans un reportage d’archive diffusé sur Youtube sur la chaîne « Documentaire Société », la voix-off explique maladroitement cette mouvance basée sur la liberté de genre et la liberté sexuelle : « Piercings, mèche qui cache le regard, difficile de différencier les filles, des garçons (…) La présence de ces jeunes gens à l’allure androgyne dérange ». Dans la suite des images, on peut apercevoir des jeunes garçons s’embrasser et des jeunes filles faire de même. Car dans la culture émo, il n’y a pas de distinction de genre. Ou très peu. Ce courant a été pionnier dans le traitement de la mode non-genrée, de la transidentité ou des relations homosexuelles. Leur unique leitmotiv ? Exprimer leurs sentiments, des plus heureux aux plus malheureux. Et comme leurs looks vont de pair avec cette façon de penser, ils pourront adopter tantôt un sac à dos Pikachu, un nœud pour tenir leur mèche ultra lisse ou bien un masque façon monstre pour cacher une partie de leur visage. Mais comme toute mode, elle est très souvent éphémère. Le courant émo s’essoufle au début des années 2010. Les émos le disent eux-mêmes, leur look s’est trop répandu et est devenu trop commercial (un comble !). Ses membres grandissent et se peaufinent une garde-robe plus mature, plus sobre ou choisissent un autre mouvement à suivre.

Emo 4 ever

Tokio Hotel, aussi, est en perte de vitesse. Si leurs trois premiers albums se vendent comme des petits pains, le groupe sent le vent tourner. Ils deviennent de jeunes adultes et veulent se retirer pour profiter d’un semblant de vie normale qu’ils n’ont jamais connu, et surtout pas à l’adolescence. La techno et l’électro prennent alors le relais dans les chambres d’ados, et dans leurs studios d’enregistrement. Aujourd’hui les quatre trentenaires n’ont plus rien à voir avec les jeunes goths des Y2K. Ils produisent de la musique dance aux accents rétro. Reste encore le côté très mode de Bill, savamment androgyne (comme il sait si bien le faire). C’est tout.

Mais comme on le sait, la mode n’est qu’un éternel recommencement. Et sur TikTok, la jeunesse s’amuse à déterrer des styles qu’on pensait disparus depuis belle lurette. En effet, les usagers se sont amusés avec les tendances des années 90, du début des années 2000 et c’est à présent au rock émo de voir sa popularité (re)grimper en flèche. Inattendu. Willow Smith et Machine Gun Kelly, d’ailleurs, viennent de sortir une chanson qui s’est classée directement en tête des sons les plus utilisés sur la plateforme, intitulée « Emo girl ». Le clip reprend tous les codes stylistiques de l’époque, réactualisés avec des coupes plus actuelles. Il faut dire que les valeurs que prônaient les émos de 2006 sont aujourd’hui considérées comme une norme. L’acceptation des différences, le gender-fluid et la vie en communauté… Rajoutez à ça une esthétique rock, adoubée à nouveau sur les catwalks et vous obtenez une grande dose de nostalgie. A tel point, que le 30 octobre prochain, le festival « When We Were Young » proposera notamment des concerts de My Chemical Romance, Paramore, Avril Lavigne, AFI, the Used ou encore Bright Eyes. De quoi donner envie de se lisser la mèche comme Bill Kaulitz et de dessiner des têtes de mort sur ses converses.